Elle nous parle depuis San Francisco où elle s’est installée en 2013, pour le développement international du groupe 1000mercis qu’elle a créé en 2000 et qui emploie aujourd’hui 600 personnes.
Nous sommes ravis et honorés de pouvoir l’interviewer. Elle a été l’une des premières à accepter de participer à ce projet et nous l’en remercions.
Que fais-tu dans la vie ?Je suis CEO d’un groupe qui s’appelle 1000mercis, dont la majorité des équipe est en France et qui s’est également établie aux Etats-Unis, en Californie dans la Silicon Valley. Notre métier, c’est de collecter des données et de faire levier sur ces données pour optimiser les interactions marketing que l’on peut avoir avec des consommateurs. Nous travaillons à la fois sur des données non-nominatives et nominatives pour faire ce travail-là. Avec mon co-fondateur, nous avons crée une entreprise de « marketing technologist ».En quoi ton métier consiste-t-il concrètement au quotidien ?
C’est un métier de chef d’entreprise. Aujourd’hui, le groupe est en bourse et emploie à peu près 600 personnes. C’est une entreprise qui grandit, donc il faut faire en sorte que sa croissance soit possible, de manière régulière et sécurisée.
Ensuite, moi, ce que j’aime faire, c’est mélanger du marketing et de la data. Donc je continue à échanger avec certains clients sur ces sujets-là et à travailler pour eux.
Comment en es-tu arrivée là ?
J’ai un parcours très académique puisque j’étais ce que l’on appelle « enseignant-chercheur ». C’est de la recherche universitaire académique entre la France et les Etats-Unis. A l’époque, j’ai travaillé dans le premier laboratoire de marketing interactif qui avait été créé par John Deighton aux Etats-Unis. Puis je me suis lancée dans l’entrepreneuriat, pas par vocation ou par choix, mais un peu par hasard, parce que la matière m’amusait, et que le métier me plaisait. Je suis devenue entrepreneur un peu par hasard. Et c’est pareil pour mon associé, nous étions tous les deux des académiques.
Est-ce que tu as dû développer des compétences particulières ? As-tu fait des études spécifiques pour cela ?
On a appris nos métiers sur le tas, parce que les métiers de la data évoluent énormément, incroyablement même dans les 15 dernières années, et continue à évoluer très rapidement. Mon métier change à peu près tous les 6 mois, assez drastiquement. Donc oui, j’ai appris plein de métiers en fait.
Et je pense que c’est le cas dans beaucoup de métiers aujourd’hui, il faut aller au-delà de la formation initiale. Après, je pense que la formation académique est une formation pertinente à cet effet, parce qu’elle apprend surtout à poser, et à se poser, des questions.
Si tu devais donner un conseil aux jeunes, comment peuvent-ils concrètement acquérir ces compétences dont ils vont avoir besoin au cours de leur carrière ?
Il y a plein de manières de les acquérir. Pour moi, la transmission est quelque chose d’important puisque l’enseignement est mon vrai premier métier. D’abord, je pense qu’en France, on a une vision très top-down de l’enseignement et assez livresque. On a l’impression qu’il y a seulement la formation initiale. Je pense que sur des matières chaudes, contrairement aux matières froides, des matières en perpétuelle évolution et sur lesquelles est la data en grande partie, on est encore proche de la R&D, encore aujourd’hui. Il y a de la connaissance livresque, des MOOCs, etc.
Et puis après, il y a “faire avec”, tester, regarder, faire des choses avec d’autres, une autre façon de transmettre, continuer à apprendre et évoluer. Cela fait partie des choses que l’on apprend en faisant.
Qu’est-ce qui te plait dans ce métier ?
D’avoir la liberté d’inventer et la liberté de choisir les gens avec qui je travaille. Je considère que c’est un très très grand luxe de pouvoir travailler avec des gens avec lesquels c’est amusant de travailler. Après, il y a plein de choses que j’aime, et d’autres que j’aime moins. Je voyage énormément. C’est un truc que j’aime. En même temps, j’habite en Californie et de fait, la compétition mondiale et une grande partie de la compétence sont en Californie. Comme le groupe continue à grandir, c’est indispensable d’être là.
Mais quand tu étais petite, tu rêvais de faire quoi comme métier ?
Je ne voulais pas du tout faire ça, je voulais être marchande de laine. Marchande de laine, ça avait un côté bien rangé, dans des petites cases, avec des jolies couleurs, bien propre. Ca ressemblait un peu à des bases de données d’un certain côté. Même si aujourd’hui, avec les données non structurées, tout cela est beaucoup moins propre que ça ne l’a été.
Donc non, je n’avais pas cette vocation-là, je n’avais d’ailleurs pas de vocation entrepreneuriale bien spécifique.
Et pourquoi t’être orientée dans la data du coup ?
Quand je faisais mes études, j’ai découvert internet. Je suis arrivée aux Etats-Unis en 1995 pour faire mes études, une semaine après le lancement de Yahoo. Je me suis dit que la capacité à collecter de la donnée sur les canaux interactifs allait tout changer en marketing, car on allait enfin pouvoir faire de la personnalisation. Et donc je suis tombée dans la data, par l’intérêt que j’avais pour le sujet, pour mieux faire du marketing et personnaliser. A l’époque, la seule façon de faire du marketing relationnel et de collecter de la donnée, c’était les programmes de fidélité.
Comment est-ce que tu vois ce marché de la data évoluer dans les prochaines années et quels vont être les principaux enjeux pour les entreprises ?
Pour moi, le gros enjeu est la multiplication des endroits où on peut collecter de la donnée. Je vous parle avec un prisme très marketing, parce que mon métier c’est le data marketing. Après, la donnée peut être utilisée sur plein d’autres choses. Si on parle de marketing, le gros enjeu est la multiplication des lieux de collecte, et notamment l’IOT, qui nous permet d’aller collecter des données bien au-delà du web, bien au-delà du mobile, bien au-delà du point de vente mais sur des objets mêmes.
Il y a un deuxième point important en marketing, c’est la partie programmatique. Aujourd’hui, tout l’achat en programmatique, c’est du online. Mais on commence à pouvoir accéder à des inventaires radio – audio comme disent les américains – et demain on pourra accéder à de l’inventaire TV sur ces canaux programmatiques.
Donc on a un double effet de lieux de collecte et de canaux disponibles, qui vont encore faire beaucoup évoluer le monde du data marketing.
As-tu des regrets dans ta carrière ?
Alors c’est marrant, je ne pense pas du tout à ce que j’ai fait en terme de carrière. »Carrière » est un mot avec lequel j’ai un peu de mal personnellement.
Oh non, je n’ai aucun regret. Je pense qu’on aurait dû accélérer à l’international un peu plus tôt pour le groupe (3-4 ans avant), encore plus. Voilà, c’est juste un point de timing. Sinon, je n’ai aucun regret. J’ai toujours travaillé avec des gens que j’ai adorés, j’ai un métier qui m’amuse, donc non. Je pense que ce qui compte, ce sont les gens avec lesquels on échange, avec lesquels on a la chance de travailler, passer du temps. Car il n’y a rien à faire, c’est du temps quand même. C’est beaucoup de temps.
Et enfin : est-ce que tu aurais des conseils pour les jeunes qui sont en train de choisir leurs études ou débutent leur carrière professionnelle ?
Qu’ils fassent un truc qui les amuse. Je pense que l’innovation aujourd’hui est vraiment à la confluence de différents savoir-faire et zones de compétence, et donc qu’il n’est pas grave d’avoir un parcours un peu alambiqué, un peu compliqué. Dans notre entreprise, par exemple, il y a des gens qui ont fait de choses très hétérogènes, comme de la physique, et qui travaillent avec nous. Je pense qu’il vaut toujours mieux choisir des sujets et des êtres aspirationnels, des profs qui donnent envie, qui ouvrent l’esprit. Et qu’au final, c’est ça qui est important.
Merci beaucoup Yseulys !